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Les vestiges-reliques de l'ostensoir de Pierre Loir donné en 1681-1682 par Madame de la Basme à Judith Moreau de Brésoles pour les hospitalières de Saint-Joseph de Montréal.

Hypothèse de reconstitution archéologique des stratifications des multiples phases de sauvetages, transformations et réintégrations, à partir des fragments épars conservés.

Texte préparé par Robert Derome avec la collaboration de Soeur Nicole Bussières, Gilbert Langlois et Pierre-Olivier Ouellet, pour l'exposition temporaire « Les pionnières des soins de santé à Montréal » présentée au Musée des Hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Montréal à compter du 26 juin 2002. Revu, corrigé, augmenté et réédité en juillet 2023, avec ajouts en mars 2024.

« Vestige-relique ».

Cet ostensoir composite oblige à une reconstitution archéologique afin de comprendre ses multiples transformations au cours des siècles. On peut donc le considérer comme un « vestige-relique » de l'ostensoir original donné au XVIIe siècle par Madame de la Basme aux religieuses hospitalières de Saint-Joseph de Montréal (74 cm, 987X528). Vestige parce qu'il n'en reste qu'une infime partie profondément remaniée. Relique, parce que cette parcelle suffit à conférer à l'ensemble son caractère sacré lié à la fondation de la communauté.

Soleil, Anonyme, pour les célébrations de 1909, bronze doré, verre et pierreries.

Ancienne base de l'ostensoir donné par Madame de la Basme, attribuée à Pierre Loir (1628-1700), Paris, fabriquée entre le 7 novembre 1681 et le 10 juillet 1682, argent, transformée, dorée et intégrée à l'arrière du nouveau soleil pour les célébrations de 1909.

Base, tige, lunule et divers fragments de décor dans une boîte, Favier Frères (1824-1976), Lyon, vers 1854-1857, bonze doré.

Lunule, Gilles Beaugrand, 20e siècle.

Photos RD.

La religion catholique repose pour beaucoup sur le dogme de la transsubstantiation, c'est-à-dire le changement du pain dans le corps du Christ et du vin en son sang, au coeur du rituel religieux dans la célébration de l'Eucharistie. C'est ce mystère qui est vénéré par la dévotion au Saint-Sacrement, sous forme de la grande hostie du prêtre, exposée dans la lunule de l'ostensoir. Selon ce dogme, la plus infime parcelle d'hostie est la personne totale du Christ. Ce même principe a été adapté aux reliques des saints. Une petite parcelle des reliques de son corps, ou même un vêtement qui a touché le corps du saint, devient une représentation totale de la personne du saint et est vénérée comme telle. Cet ostensoir participe donc de cette même tradition. Bien qu'il ne subsiste qu'une toute petite parcelle, même très transformée, de l'ostensoir original commandité par Madame de la Basme à l'orfèvre Pierre Loir, celle-ci est suffisante pour conférer à tout l'ostensoir ses qualités originales liées à la fondation de la communauté. À sa manière, cet ostensoir participe donc profondément au mystère de la foi catholique, au mythe fondateur et à l'histoire de la communauté des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph à Montréal. Quant à la notion de vestige elle découle davantage de l'archéologie et de la conservation patrimoniale dont l'idéologie ne s'est développée que plus récemment.

Plusieurs membres de la Société de Notre-Dame, qui a fondé Montréal, faisaient partie de la fameuse et très puissante Compagnie du Saint-Sacrement (1629-1667). Le fondateur des sulpiciens, Jean-Jacques Olier, a préparé l'esquisse d'une image utilisée par la Confrérie du Saint-Sacrement de la paroisse Saint-Sulpice de Paris. Cette image évoque la dévotion toute particulière pour le Saint-Sacrement via la grande hostie du Christ vénérée dans l'ostensoir.

Claude Mellan d'après une esquisse de Jean-Jacques Olier, Adorons le très saint sacrement de l'autel (Image de la Confrérie du Saint-Sacrement de la paroisse de Saint-Sulpice), 1643, gravure, Paris, Bibliothèque nationale, Estampes (Simard 1976, fig. 66).

 

L'ostensoir fabriqué par Pierre Loir entre le 7 novembre 1681 et le 10 juillet 1682.

Attribué à Pierre Loir (1628-1700), Paris, Ancienne base de l'ostensoir donné par Madame de la Basme, fabriquée entre le 7 novembre 1681 et le 10 juillet 1682, argent, transformée, dorée et intégrée à l'arrière du nouveau soleil pour les célébrations de 1909.

Les poinçons du XVIIe siècle ont été conservés à gauche de l'écrou d'assemblage de forme hexagonale au-dessus de la lunule lors de la fabrication du nouveau soleil pour les célébrations de 1909. Positionnés à l'horizontale sur l'ostensoir, le détail ci-dessus les présente à la verticale dans le sens habituel de lecture de leurs lettres A et M.

Le seul vestige conservé de l'ostensoir original de 1681-1682 est une plaque d'argent arrondie, dorée pour les célébrations de 1909, à l'occasion de son intégration à l'arrière du soleil de bronze. Cette plaque d'argent dorée porte un poinçon d'orfèvre illisible, le poinçon de charge pour les ouvrages d'argent de la seconde période du bail du fermier parisien Paul Brion du Saussoy (en usage du 7 novembre 1681 au 29 juillet 1684) et le poinçon de jurande portant la lettre M (en usage du 3 juin 1681 au 10 juillet 1682). Par recoupement des dates on peut donc conclure que l'ostensoir d'origine avait été fabriqué entre le 7 novembre 1681 et le 10 juillet 1682. L'étude du ciboire de Pierre Loir fabriqué à la même époque pour la communauté permet d'attribuer ce vestige d'ostensoir au même orfèvre.

Poinçon de maître orfèvre rendu illisible après avoir été déformé sur la longueur et oblitéré par martelage.

Paris, poinçon de charge pour les ouvrages d'argent de Paul Brion du Saussoy II, en usage du 7 novembre 1681 au 29 juillet 1684 : un soleil et une fleur de lys au milieu et un A au-dessous.

Paris, poinçon de jurande en usage du 3 juin 1681 au 10 juillet 1682 : une couronne sur la lettre M.

Arrivée au Canada le 7 septembre 1659, Judith Moreau de Brésoles (1620-1687) fut la fondatrice et la première supérieure des religieuses hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Montréal, communauté organisée avec l'aide de Jeanne Mance, les mères Macé et Maillet (DBC). L'ostensoir original avait été commandité par sa tante par alliance, Madame de la Basme, qui était l'épouse du gouverneur de Blois, lui-même le frère naturel du père de Judith. « La famille et l'enfance de ma soeur Bresolles Monsieur son père demeurait dans la ville [de] Blois et y tenait un rang considérable, puisque son frère naturel en étoit gouverneur, qui s’appellait Monsr de la Basme. [...] Huit années après [le contexte ne permet pas de préciser de quelle date il s'agit], Madame de la Basme sa tante luy envoya un petit balot d’ornements pour notre église qu’on estima valoir au moins six cent francs et cent escus, qu’elle luy promit pour aider à faire un soleil à exposer N. S. sur l’hostel, qu’elle envoya en mesme temps Monsieur Macé à Paris notre bon amy qui remplit son intention qu’elle savoit estre en nos intérêts. Pour lors ma chère Sr. de Bresolles crut estre obligée de remercier sa chère tante et luy écrivit pour cela [Morin 1921, p. 191 et 211, voir également Morin 1979].

Quelques ostensoirs de la dynastie des Loir ont été importés en Nouvelle-France. Ils permettent de reconstituer mentalement les formes et décors de celui disparu des hospitalières montréalaises. Certains d'entre eux sont également disparus, alors que d'autres ont été modifiés au fil des siècles. Jean-Baptiste Loir a réparé un ostensoir Anonyme de 1672-1679 avec une base simple et peu ornée similaire à celle du ciboire conservé par les hospitalières ; notons que la seconde frise ciselée sur la base a été ajoutée à Québec par François Ranvoyzé à la fin du XVIIIe siècle de même que la croix surmontant le soleil.

1630-1631, 1891-1903.

Loir, Nicolas, France, Paris (Me 1616-1653-). Poussielgue-Rusand Fils, France, Paris (poinçon insculpé en 1891, biffé en 1903) [lunule]. Ostensoir. 1630-1631, 1891-1903. Sous le pied. K de 1630. Sur la lunule. MO : un cœur, une épée, une ancre, PRF, une étoile. Autre poinçon illisible. Sainte-Anne-de-Beaupré. Objet réparé en France, 1891-1903, alors qu'il y avait plein d'orfèvres au Québec qui pouvaient le faire ! « Cette œuvre d’art du dix-septième siècle, ayant été, il y a quelques années, expédiée à Paris, pour y être réparée, y attira grandement l’attention des connaisseurs (FGM, 7639, Ste-Anne-de-Beaupré, réf. à Guide du pèlerin, 1941, p. 39). »

1672-1677, 1689-1716, 1771-1817.

Anonyme, France, Paris. Loir, Jean-Baptiste, France, Paris (Me 1689 †1716). Ranvoyzé, François, Québec (1739 - 1819, actif 1771-1819) [réparation]. Ostensoir de Bécancour. 1672-1677, 1689-1716, 1771-1817. H. 1'3". Rayons 5"1/4. Pied 6"1/4 x 3"5/8. MO : « ILB et un trèfle ». C : 1672-1677. Collection Birks (Bécancour ; Sainte-Gertrude). Q.280 (24009). 7111 par RD au MMMC.

1689-1716.

Loir, Jean-Baptiste, France, Paris (Me 1689 †1716). Ostensoir d'une paroisse en bas de Québec. 1689-1716. H. 1'5"1/4 MO : Inconnue (Cartierville, Hôpital du Sacré-Cœur, naguère Hôpital des Incurables, jusqu'au milieu du XXe siècle ; « une église d'en bas de Québec » d'après FGM). FGM 1-1906, Cartierville, Hôpital des Incurables, photo A-1 et 2 : « Communication du chanoine VALOIS, 1er octobre 1940 : "Cet ostensoir provient d'une église d'en bas de Québec; il a été acquis vers 1908 par Mme Lussier d'un marchand de vases sacrés, chez qui le curé de l' "église d'en bas de Québec" l'avait échangé pour un autre plus visible. À la mort de Mme Lussier, en 1922, ses exécuteurs testamentaires (le chanoine Valois et M. de Boucherville) n'ont pas voulu laisser cet ostensoir au Palais épiscopal et l'ont donné à l'Hôpital des Incurables. »

1689-1716.

Loir, Jean-Baptiste, France, Paris (Me 1689 †1716) [attribution]. Ostensoir. 1689-1716. Argent H. 1'5"1/2 Aucun poinçon d'orfèvre. MC : A. Beauport ? FGM 1-8647. Beauport, photo A-4, 17 octobre 1943.

Le ciboire fabriqué entre le 3 juin et le 7 novembre 1681 par Pierre Loir (1628-1700).

Ce ciboire fut sauvé des trois incendies majeurs subis par le couvent en 1695, 1721 et 1734. Il apporte des informations historiques importantes par ses nombreux poinçons en bon état de conservation.

Poinçon du maître orfèvre Pierre Loir : une fleur de lys, deux grains, PL, une croix.

Paris, poinçon de charge de Paul Brion du Saussoy I, en usage du 1er octobre 1680 au 7 novembre 1681 : une étoile avec un A au milieu et une fleur de lys au-dessus.

Paris, poinçon de charge pour les petits ouvrages de Paul Brion du Saussoy I, en usage du 1er octobre 1680 au 7 novembre 1681 : une fleur de lys avec un anneau au bas.

Paris, poinçon de décharge de Paul Brion du Saussoy I, en usage du 1er octobre 1680 au 7 novembre 1681 : une couronne.

Paris, poinçon de jurande en usage du 3 juin 1681 au 10 juillet 1682 : une couronne sur la lettre M.

Tout d'abord le poinçon du maître orfèvre Pierre Loir, né en 1628, maître en 1651, décédé en 1700, et dont seulement deux autres objets sont conservés dans le patrimoine mondial : sa navette chez les ursulines de Québec et son calice à l'église Sainte-Famille de l'Île d'Orléans. Les poinçons de charge et décharge de Paris permettent de dater l'objet de la première partie du bail du fermier Paul Brion du Saussoy, soit du 1er octobre 1680 au 7 novembre 1681. Le poinçon de jurande, la lettre M, a été en usage du 3 juin 1681 au 10 juillet 1682. Par recoupement des dates entre ces poinçons, on peut donc conclure que ce ciboire fut fabriqué entre le 3 juin et le 7 novembre 1681.

Pierre Loir est l'un des membres d'une grande dynastie de plusieurs orfèvres qui approvisionnèrent la Nouvelle-France en orfèvrie, surtout religieuse, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les trois oeuvres de lui conservées au Québec constituent le patrimoine mondial connu. Bien que devenu maître en 1651, les trois objets québécois sont tous postérieurs à la réforme des poinçons de 1680.

Le ciboire de Pierre Loir a été fabriqué entre le 3 juin et le 7 novembre 1681, soit durant la première partie du bail du fermier Brion du Saussoy. Les poinçons conservés de l'ostensoir d'origine permettent de conclure qu'il avait été complété dans la seconde partie du bail de ce même fermier, soit entre le 7 novembre 1681 et le 10 juillet 1682.

Ce ciboire figurait-il parmi le « petit balot d'ornements » envoyé par Madame de la Basme ? La date donnée par son inscription inciterait à le croire : « POVR - LES - RELIGIEVSES - HOSP - DE - MONTREAL - 1682 ».

Comment alors expliquer la différence de dates entre l'insculpation des poinçons en 1681 et l'inscription donnant celle de 1682 ? Ce délai ne fut peut-être pas occasionné seulement par un retard de l'orfèvre ou du fermier. En effet, Madame de la Basme n'avait finançé qu'une partie du coût de l'ostensoir, ce qui aurait ainsi forcé Judith Moreau de Brésoles à trouver les sommes complémentaires ! À moins que l'on ait acheté qu'en 1682 un ciboire déjà prêt et poinçonné mis en vente à la boutique de l'orfèvre ?

L'étude des poinçons et le contexte de la commandite permettent d'attribuer à Pierre Loir le poinçon de maître orfèvre rendu illisible sur le vestige conservé de l'ostensoir. Il devait donc partager les caractéristiques stylistiques et morphologiques du ciboire que l'on pourrait appliquer à une reconstitution par dessin de l'ostensoir.

Pierre Loir (1628-1700), Paris, Ciboire, entre le 3 juin et le 7 novembre 1681, argent, hauteur 29 cm, inscription sous la bate « POVR - LES - RELIGIEVSES - HOSP - DE - MONTREAL - 1682 », Montréal, Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. Photos Robert Derome.

Le calice de l'église Sainte-Famille de l'Île d'Orléans a été fabriqué un an après le ciboire des hospitalières de Montréal. Il porte tous ses poinçons, sauf sur la coupe qui a été refaite.

Poinçon du maître orfèvre Pierre Loir sous la base : une fleur de lys, deux grains, PL, une croix.

Poinçon de maître orfèvre sous la bate : une fleur de lys, deux grains, PL, une croix.

Paris, partie du poinçon de charge pour les ouvrages d'argent de Paul Brion du Saussoy II, en usage du 7 novembre 1681 au 29 juillet 1684 : un soleil et une fleur de lys au milieu et un A au-dessous.

Paris, partie du poinçon de décharge pour la vaisselle montée de Paul Brion du Saussoy II, en usage du 7 novembre 1681 au 29 juillet 1684 : une couronne fermée fleudelysée et chargée d'une vivre [serpent].

Paris, partie du poinçon de jurande en usage du 11 juillet 1682 au 7 juillet 1683 : une couronne sur la lettre N.

Gérard Morisset avait confondu son poinçon de Pierre Loir avec celui de l'orfèvre québécois Paul Lambert dit Saint-Paul (1691 ou 1703 - 1749) dont les objets sont postérieurs d'un demi-siècle.

Loir, Pierre, France, Paris (Me 1651 Ý1700). Calice. 1682-1683. Argent. Sainte-Famille Ile d'Orléans.

 

Les trois incendies.

Le monastère des hospitalières fut victime de trois incendies qui détruirent quantité d'oeuvres d'art en 1695, 1721 et 1734. L'ostensoir d'origine n'a pas eu par la même chance que le ciboire qui s'en sortit indemne. Dans la description de l'incendie de 1695, on ne parle pas directement de l'ostensoir ; il est donc possible qu'il ait été endommagé, ce sinistre étant réputé comme le plus destructeur des trois.

« Peu apres ariva trois Peres recollets qui nous furent d'un grand secours. Le Reverand Pere Joseph Denys, leur superieur, prit le tres Saint Sacrement et le porta en la maison de Monsieur Arnaud, marchand. Ma tres honoree soeur Le Jumeau le suivit et demeura en priere dans cette maison, en sa presance, jusqu'au grand jour, quand on nous rasambla. [...] Plusieurs de nos soeurs signalerent leur courage et presance d'esprit, qui avec peu de secours de dehors sauverent la plus grande partie du linge et ornemens de la sacristie [Morin 1979, p. 240-241] ».

La terminologie « Saint Sacrement » pourrait-elle désigner l'ostensoir ? Ou ne s'agirait-il pas plutôt du ciboire, placé dans le tabernacle, et qui contenait les hosties ? Le ciboire de Pierre Loir est toujours conservé par la communauté. Il fut donc sauvé des multiples incendies. Celui de 1721 eut lieu durant la procession du Saint-Sacrement, un des rituels qui implique la présence de l'ostensoir. Lorsque l'incendie éclata, la procession était en route pour l'église Notre-Dame. L'ostensoir était donc entre les mains du prêtre officiant, étant derechef sauvé de l'incendie.

« Seconde insandie generalle de notre monastere, arivee le 19e juin 1721. Il me samble, mes soeurs, que vous seré bien de voir, dans quelques annee d'isy, qu'on ait ecrit ce qui c'est passé de plus remarquables quant notre eglise, notre couvant et la maison de notre hospital brusla tout a la fois. Voisy comme cela ariva. La petite feste de Dieu, de cette annee, ariva le 19 juin. La procession generalle du tres Saint Sacrement fut plus solanelle que de coutume a cause que la pluye avoit enpesché qu'on ne la fit le jour. Nos soeurs sacristines marquerent leur zelle a parer notre eglise tout de leur mieux et en firent une chapelle ardante a la mode de Rome, selon le santiment de Monseigneur notre evesque qui en est revenu, il y a peu d'annee, en ce peys. On fait de grandes decharges de fusils et mesme de canons a chaque eglise ou il y a des reposoirs. Ce que l'on fit a la nostre, a la sortie de la procession qui n'etoit pas encorre randue a l'eglise paroissialle de cette ville, dont nous ne sommes pas loin, qu'un estourdy tira un gros coup de fusil dans le portail de notre eglise, qui porta le feu sur la couverture de la ditte eglise et dans la voute, en un momand, et qui s'y aluma d'une sy gran vitesse que plusieurs de nos amis qui se trouverent la presans ne purent point l'etindre, quoy que bien adroits et intelligens. Ce qui fit sonner le toquesin pour appeller du monde a notre secours, voyant le mal sans remede. Il y en vingy bon no[m]bre d'abort, ce qui dura peu, a cause que le feu ce comunica en mesme tamps a la maison de nos malades et de nostre monastere par le toit de l'eglise, qui estoit haute et couverte de bardeau de sedre, et les autres aussy, ce qui bruslas aussy viste que la paille, sur tout par un tamps chaud et acompagné de vand, comme il fesoit alors. Nos soeurs se jetterent d'abort a deparer l'hotel et sauver les ornemans, avec des layques, et sauverent presques tout [Morin 1979, p. 272-273] »

Les religieuses dressèrent une liste indentifiant « Lesquels meubles ont esté brûlés et perdus dans l'Incendie arrivéé a montreal le dix avril 1734 Sçavoir [...] Il n'y a eu que [les] vases Sacrés sauvés ; Et il est [ainsi] de tous quà la sacristie étoit fort riche [Archives de la communauté]. »

James Pattison Cockburn, Hôtel Dieu, Montreal, 1829, aquarelle, 48,5 x 34,7 cm,
Bibliothèque et Archives Canada, Collection de Canadiana Peter Winkworth, no R9266-153 (Wikipedia).

 

« Pied de soleil », custode, pyxide, porte-dieu.

Le pied de l'ostensoir donné par Madame de la Basme fut donc très certainement endommagé lors de l'un des incendies du couvent en 1695, 1721 ou 1734, plus problablement lors du plus dévastateur en 1695.

Le soleil dût cependant continuer à être utilisé avec une base rapportée. Ce soleil devait être fort simple et problablement similaire à l'un des ostensoirs connus de la dynastie des Loir.

On peut donc imaginer l'ancien soleil de Pierre Loir fiché sur une simple base en matériau non précieux.

Les jésuites de l'ancienne mission de Métabetchouan utilisaient le même procédé pour un tout petit ostensoir en argent fabriqué à Paris en 1687-1688. Le pied utilisé était en étain.

Anonyme, France, Paris, Ostensoir de Métabetchouan, 1687-1688, ostensoir en argent (hauteur 7"1/2) dont les pierreries ont été ajoutées ultérieurement et ancienne base en étain, Chicoutimi, Musée du Saguenay. Photo de gauche RD, photo de droite Barbeau 1957b, p. 54.

Plusieurs « pieds de soleil » sont inventoriés, année après année, dans un grand registre à colonnes des objets du culte à la sacristie des hospitalières de Montréal. Or, on y atteste qu'on n'utilise qu'un seul ostensoir jusqu'en 1868, date de l'acquisition de celui en argent fabriqué par Marie Thierry fils à Paris. Si ces « pieds de soleil » étaient des bases d'ostensoirs sur lesquelles on pouvait placer un soleil amovible, comment expliquer que la communauté en possédait un si grand nombre ? Y en aurait-il eu un à chacun des oratoires ou lieux de prière dans les nombreux corridors tant du monastère que de l'hôpital ? La page 24 de cet inventaire, pour 1851 à 1860, porte bien l'item libellé « pieds de soleil » ; mais cette appellation est rayée et remplacée par le mot « custodes » dont on retrouve la définition dans deux livres édités en 1873 utilisés à la sacristie.
dates
« pieds de soleil »
1807-1817
3
1818-1826
6
1827-1829
7
1830-1834
9
1835-1841
10
1860
16

« On se sert encore d'une espèce de petit ciboire, muni de son couvercle, et recouvert d'un petit voile ou pavillon de soie blanche pour porter le Dieu aux malades, quand le trajet est long ou difficile. Chaque église doit être munie de ce petit ciboire qu'on appelle custode ; quelquefois elle consiste en une simple petite boîte plate en argent, dorée à l'intérieur, d'autres fois elle est munie d'un pied. Plusieurs évêques ont interdit l'usage des custodes dont le pied se dévisse et contient l'huile des infirmes [D'Ézerville 1873, p. 27]. »

« La custode est une espèce de petit ciboire, ou une petite boîte très-solide, dans laquelle on conserve les saintes espèces et ordinairement la grande hostie consacrée que l'on place dans l'ostensoir. À défaut de ciboire ou de custode, on peut placer les hosties consacrées dans un calice consacré, couvert de sa patène. La custode doit être en or ou en argent doré, au moins à l'intérieur. Il convient que le couvercle soit surmonté d'une petite croix solidement fixée ; cependant cette croix n'est pas de rigueur. Lorsque la custode est munie d'un pied, et que, selon l'usage général pour le ciboire, le couvercle est surmonté d'une petite croix, rien n'empêche qu'on ne distribue la sainte communion avec une custode ainsi faite. [...] La custode pour la communion des malades ne peut pas faire un seul tout avec la boîte de l'huile des infirmes [Religieuse sacristine 1873, p. 14-15]. »

Anonyme, Pyxide, métal doré, 7 cm, Société du patrimoine religieux du diocèse de St-Hyacinthe a2001.278.

Anonyme, Pyxide, métal argenté et doré, Musée de l'Oratoire Saint-Joseph 2012.502.1-2.

Anonyme, Pyxide, métal plaqué argent, 9 cm, Les Franciscains de la Province Saint-Joseph du Canada 2003.102.1-2.

La custode était aussi appelée pyxide ou porte-dieu. Elle pouvait donc désigner deux objets distincts. La pyxide (photos ci-dessus) contenait la grande hostie du prêtre, celle que l'on place dans la lunule de l'ostensoir. Or, cette boîte, était souvent laissée au « pied de l'ostensoir ». Cette habitude pourrait expliquer l'origine de cette terminologie. Mais le mot custode peut aussi désigner le porte-dieu (photos ci-desosus) . Ce petit objet contient la petite hostie et sert au prêtre pour aller porter la communion aux malades. On comprend alors mieux pourquoi on trouve autant de custodes à la sacristie ; elles étaient utilisées pour porter la communion aux nombreux malades de l'hôpital, en même temps, par plusieurs prêtres !

1729-1749

Paul Lambert dit Saint-Paul, Porte-dieu, vers 1729-1749, argent, 4,9 cm, Legs F. Eleanore Morrice, Musée des beaux-arts de Montréal 1981.Ds.15a-b.

1739

Roland Paradis, Porte-dieu, 1739, argent et vermeil, 8,6 cm, Musée national des beaux-arts du Québec 1960.456.

1797

François Ranvoyzé, Porte-dieu de L'Islet, 1797, 5,9 cm, argent, Musée national des beaux-arts du Québec DLT.1974.24.

1787-1839

Laurent Amiot, Porte-dieu, vers 1787-1839, argent et vermeil, 6 cm, Musée national des beaux-arts du Québec 1960.74.

1816-1830

Salomon Marion, Porte-dieu, vers 1816-1830, argent, 13,1 cm, Musée des beaux-arts de Montréal 1981.Ds.46.

1819-1854 / 1839-1864

Paul Morand, Porte-dieu, argent dorure, vers 1819-1854, 4,6 cm, Musée d'art de Joliette 1978.051.1-2.

François Sasseville, Porte-dieu, vers 1839-1864, argent, 4,5 cm, Société du patrimoine religieux du diocèse de St-Hyacinthe c.1999.106.1-2.

1849-1889

Placide Poussielgue-Rusand, Porte-dieu, vers 1849-1889, argent doré, 14,5 cm, Société du patrimoine religieux du diocèse de St-Hyacinthe a2001.50.1-2.

 

Base, pied et lunule fabriqués à Lyon par Favier Frères vers 1854-1857.

En 1821, on avait fait réparer l'ostensoir de 1681-1682. Trois décennies plus tard on lui prodigue de nouveaux soins : « 1854, mars. Payé à M. A. Villars pour avoir fait dorer l'ostensoir et 6 chandeliers de la Sacristie, notre part 5. 0. 0. » ; « 1857, mars. Pour avoir fait dorer un calice et ouvrage à l'ostensoir pour la même [« Registres pour la depense des trois mois de l'année et des Trois années qui va de août 1844 à janvier 1863 »]. » Aucun Villars n'est documenté à Montréal au milieu du XIXe siècle (Allaire 1908-1934 et DBC). Pourrait-il s'agir de l'un des commerçants de cette grande et importante famille lyonnaise ? Était-il un parent du grand-vicaire François Sorbier de Villars (1720-1788), qui résida à Québec de 1744 à 1757 (DBC), avec lesquels les hospitalières ou les sulpiciens auraient pu garder des liens ? Ces importants travaux précèdent de peu la célébration du deuxième centenaire de la fondation de la communauté en 1859. On veut alors mettre en valeur un des rares objets reliés à la fondatrice de la communauté ayant été sauvé des incendies. D'autant plus que l'ostensoir rayonne par sa splendeur au coeur du culte primordial de l'eucharistie.

•3 — 1689-1716. Cartierville, Hôpital du Sacré-Cœur.

•4 — 1689-1716. Beauport.

Favier Frères (actifs de 1824-1827 à 1976), Lyon, Base, tige et lunule, vers 1854-1857, bronze, cuivre, argent doré et verre,
poinçon d'orfèvre FF, un soleil. Photos de la lunule et de la base RD. Photo des poinçons Gilbert Langlois.

Les modifications à l'ostensoir sont alors majeures. Elles demandent un effort important afin de visualiser l'état et l'aspect de cet objet à cette époque. L'ancien soleil fabriqué par Pierre Loir en 1681-1682 est encore utilisé. Maintenant doré, il est utilisable malgré ses nombreuses réparations. Son aspect pouvait s'apparenter à l'un des ostensoirs des Loir conservés au Québec, moins toutes leurs modifications également apportées au fil des siècles ! On doit donc imaginer l'ancien soleil de Pierre Loir sur un nouveau socle, base et tige, fabriqué en bronze à Lyon par Favier Frères, vers 1854-1857, spécialiste des objets religieux tant en bronze qu'en argent dont on retrouve les poinçons sur la lunule en argent doré (Chalabi 1993, p. 146, n° 0515).

Le pied et la base de bronze, fabriqués à Lyon par Favier Frères vers 1854-1857, allaient également être trasformés à l'occasion de la fabrication d'un nouveau soleil pour les célébrations de 1909. On enlèvera alors les feuilles d'acanthes du noeud de la tige, ainsi que la frise décorative ornant le pourtour de la base dont le périmètre sera alors rapetissé en le sciant. Cette ancienne frise est approximativement reconstituée sur la photo ci-contre.

D'un bronze épais, ces fragments présentent un dessous de cuivre rouge, tout comme le dessous de la base de l'ostensoir au pourtour duquel on distingue les soudures grossières laissées suite à l'ablation de cette frise. Favier Frères avait également préparé une inscription sur une plaque de cuivre, soudée et rivetée sous la base. Cette plaque sera ultérieurement abîmée par des rivets lors de l'ajout de pierreries pour les célébrations de 1909.

Favier Frères, Reconstitution des fragments de la base de 1854-1857 sciés pour les célébrations de 1909, Photo RD.

Photo RD.

Plaque gravée sous la base de l'ostensoir, « Donné aux Religieuses / hosp. de St. Joseph de / Montreal / 1682 », milieu XIXe siècle, cuivre. Photo RD.

Ce genre de mutilation a d'ailleurs été faite sur un autre objet des collections des hospitalières, un fabuleux calice, chef-d'oeuvre d'Ignace-François Delezenne (Derome 1974a) ; dans ce cas, les hospitalières ont reconstitué le calice original avec les fragments sciées vers le milieu du XXe siècle qui avaient été conservés.

 

Un prestigieux nouvel ostensoir fabriqué à Paris en 1868 par l'orfèvre Marie Thierry fils.

En 1861, la communauté emménage dans son nouveau couvent de la rue des Pins. On a alors besoin d'un ostensoir de plus grandes dimensions, mieux adapté à cette nouvelle chapelle beaucoup plus vaste (photo à gauche) que l'ancienne sur la rue Saint-Paul. Son style triomphaliste illustre admirablement bien les ambitions expansionnistes ultramontaines de la fin du XIXe siècle. On enregistre une dépense somptuaire en 1868 pour ce magnifique ostensoir en argent massif acquis à Paris chez Marie Thierry fils, 12 rue Sainte-Marguerite (Arminjon 1994b, p. 301, n° 03300), pour la forte somme de 304$ plus 11$ de transport (Archives des hospitalières).

C'est le second ostensoir conservé par la communauté. Il est acquis par l'entremise de Mathurin-Clair-Louis Bonnissant (1816-1886), aumônier de plusieurs communautés dont l'Hôtel-Dieu, économe des sulpiciens et curé à Notre-Dame de Montréal (1847-1886) (Allaire 1908-1934, Les Anciens, p. 65) ; il donne même, en 1874 à la sacristie des hospitalières, un manuel destiné à La religieuse sacristine publié en 1873 qui est fort utile pour documenter le sens du mot custode à cette époque.

Marie Thierry fils (actif 1853-1885), Paris, Ostensoir, 1868, argent, hauteur 94 cm, poinçon de maître orfèvre MT, un coeur percé de deux flèches, une étoile au-dessous et une au-dessus, Montréal, Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. Photo Gilbert Langlois.

Photos Gilbert Langlois.

 

Nouveau soleil et modifications pour le 250e anniversaire de fondation en 1909.

Photo RD.

Les archives des hospitalières font état, en 1891, de ces dépenses pour l'église et la sacristie : « Réparé l'Ostensoir » pour 3,50$ ; « Réparée une lunette d'ostensoir » pour 2,50$ (6 $ de cette époque pourraient représenter 182 $ de 2023). S'agirait-il de ce vieil objet ou du nouvel acquis en 1868 ? Cette somme est insuffisante pour couvrir les importantes modifications effectuées à cet ostensoir. Les célébrations du 250e anniversaire de la fondation de la communauté par Judith de Brésoles, en 1909, paraissent être un moment crucial mieux approprié pour des transformations d'une telle ampleur, un demi-siècle après celles effectuées par Favier en 1854-1857 à l'occasion du 200e. L'ancien soleil de 1681-1682 n'étant plus adapté au goût du jour, on le détruisit pour le remplacer par un modèle plus grand, plus élaboré, plus étincelant et orné de pierreries. À cette occasion, d'autres altérations furent effectuées à la base et la tige, ainsi que l'ajout d'autres pierreries. L'artisan qui a effectué ces modifications et ajouts était cependant beaucoup moins habile que les Favier Frères, ce qui est perceptible dans la structure de fabrication du soleil. Lorsqu'on l'examine de profil, on distingue très nettement le rudimentaire et inesthétique assemblage de deux plaques de bronze superposées avec leurs boulons et écrous. Notons également le très mauvais lien de fer blanc peinturluré entre ce soleil et l'ancienne tige. Finalement, le métal est très différent et de moins bonne qualité que ceux de la base et de la tige.

Photo de gauche RD, les deux autres de Gilbert Langlois.

C'est à ce moment là que l'on intégre à l'endos du soleil l'ancien pied abîmé de l'ostensoir de 1681-1682, qui avait été précieusement conservé, et que l'on transforme radicalement à cette occasion. On augmente aussi le format de la lunule pour une plus grande dont il ne reste aujourd'hui qu'un fragment conservé avec plusieurs autres dans une boîte de bois. La lunule fabriquée par Favier Frères au milieu du XIXe siècle n'était donc plus utilisée et elle sera recyclée ultérieurement sur un autre ostensoir en 1925. Un des objectifs de cette transformation radicale, était de pouvoir exposer le Saint-Sacrement sous la forme d'une hostie beaucoup plus grande. En effet, l'ancien soleil de Pierre Loir avait été pourvu, vers 1854-1857, d'une lunule traditionnelle d'un format moyen. La nouvelle lunule, dont il ne reste qu'un fragment (photos ci-dessous), était beaucoup plus grande. Aujourd'hui ce soleil utilise une autre lunule fabriquée à Montréal au milieu du XXe siècle par notre grand orfèvre Gilles Beaugrand.

Photos Gilbert Langlois.

Cette boîte de bois porte une inscription manuscrite à l'encre sur papier : « Pied de l'Ostensoir | l'O Donné par | Mme de La Basme | Tante de Notre mère De Brésoles ». À l'intérieur de cette boîte, on découvre un amas de fragments provenant de la tige et de la base fabriqués vers 1854-1857 par Favier Frères à Lyon, mais également du soleil fabriqué pour 1909. Les fragments de bronze doré correspondent au matériau utilisé par Favier pour la frise de la base fabriquée en 1854-1857. En aucun cas, il ne peuvent provenir de l'ancienne base en argent de l'ostensoir de Pierre Loir donné par Mme de la Basme et dont la forme devait être ovale comme celle des autres ostensoirs conservés au Québec de cette dynastie familiale.

Photo Gilbert Langlois.

• Pièce en forme de T : vestige de la grande lunule fabriquée pour les célébrations de 1909 qui sera remplacée pas celle de Gilles Beaugrand. Cette lunule remplaçait la plus petite que Favier Frères avait fabriqué vers 1854-1857 pour l'ancien soleil de 1681-1682 par Pierre Loir. La lunule de Favier sera insérée en 1925 dans un ostensoir de laiton. • Long fragment, étroit et acéré : bout de rayon du soleil fabriqué pour les célébrations de 1909 et brisé vers 1910. • Feuille d'acanthe : ancien décor du noeud central de la tige fabriquée à Lyon par Favier Frères vers 1854-1857. • Tous les autres fragments, de bronze doré, proviennent de la frise rectangulaire de la base fabriquée par Favier en 1854-1857 et qui a été enlevée pour les célébrations de 1909.

 

Congrès Eucharistique de 1910 et bris aux rayons du soleil.

L'ostensoir sous le dais au coeur de la procession (Congrès eucharistique 1910, p. 1056).

Le congrès eucharistique, tenu à Montréal du 6 au 11 septembre 1910, est un événement international de très grande envergure rassemblant des personnalités de plusieurs nations ainsi que des centaines de milliers de participants de toutes provenances. Son point culminant fut la procession à travers les rues de la ville depuis l'église Notre-Dame en passant par treize arcs de triomphe grandioses spécialement érigés pour cette occasion.

L'ostensoir utilisé avait été offert par les dames catholiques de langue anglaise à l’initiative de l'épouse de John James Edmund Guerin, d'origine irlandaise catholique, maire de Montréal de 1910 à 1912 ; exposé dans la vitrine du magasin O’Gilvy, il avait coûté 1 200 $ (Laperrière 2011, p. 26 ; le coût d'origine pourrait représenter 31 350 $ de 2023).

Son soleil carré juché sur une svelte colonne relevait d'un style moderniste inspiré de l'antiquité romaine, alors que le triangle de dieu rayonnant sur sa base évoquait les décors franc-maçonniques ou les billets de banque des États-Unis !

La photographie couleur d'un ostensoir conservé à l'Archevêché de Montréal présente plusieurs différences notables avec celle publiée dans le journal La Presse de 1910, surtout au niveau de la tige, entre la base et le soleil ! S'agirait-il d'un autre ostensoir ? Ou de modifications apportées ultérieurement ?

Richard Hemsley (1846-1931, Hemsley 1930), Ostensoir, 1910, argent, or, pierres précieuses, 39" (« Magnifique oeuvre d'art, L'ostensoir... », La Presse, 9 septembre 1910, p. 1, BANQ ; photo couleur par Jérôme Guibord de l'ostensoir conservé à l'Archevêché de Montréal, collaboration Audrey Lavoie).

Reposoir du parc Jeanne-Mance où fut célébrée une messe en plein air (Congrès eucharistique 1910, p. 1056).

Le terminus de cette procession était le reposoir érigé au « Fletcher’s Field » où fut célébrée une messe en plein air. À cette occasion, le nom de ce lieu avait alors été changé en Parc Jeanne-Mance, en hommage à la fondatrice de l'Hôtel-Dieu situé de l'autre côté de la rue. Durant la nuit subséquente, la sainte hostie fut adorée dans la chapelle des hospitalières sise à proximité (Congrès eucharistique 1910, p. 99-100).

Il ne serait donc pas étonnant que les hospitalières de Saint-Joseph se soient préparées pour cet événement exceptionnel et aient pu alors planifier l'utilisation de l'ostensoir lié à la fondation de leur communauté au XVIIe siècle, d'autant plus que le nom de Jeanne Mance est évoqué à plusieurs reprises dans le compte rendu officiel de cet événement (Congrès eucharistique 1910).

Photo archives des hospitalières.

Mondoux 1942, face à la p. 230.

Une photographie non datée, conservée aux archives des hospitalières, révèle des informations sur l'histoire de cet ostensoir, surtout lorsqu'on la met en parallèle avec une autre pubiée en 1942. Elle est postérieure aux célébrations de 1909 et à l'enlèvement de la frise décorative de la base. Elle montre plusieurs rayons brisés, marqués par des flèches rouges ; celui manquant, en bas à droite, est conservé avec d'autres fragments de cet ostensoir.

Dans la photo publiée en 1942 tous les rayons sont en bon état ; ils ont donc été réparés entretemps ; on y décerne également, sur le noeud central, les feuilles de chênes qui le décorent encore aujoud'hui. Les feuilles d'acanthes fabriquées par Favier avaient donc été enlevées ; une d'entre elles est conservée avec les autres fragments.

Fragments de la lunule et d'un rayon du soleil pour les célébrations de 1909.
Photo Gilbert Langlois.

Feuille d'acanthe
provenant du noeud de la tige
fabriqué par Favier en 1854-1857.
Photo Gilbert Langlois.

 

Un nouvel ostensoir en laiton reçoit en 1925 la lunule fabriquée par Favier en 1854-1857.

Anonyme, France, Ostensoir, 1925, laiton doré, hauteur 62 cm, Montréal, Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. Photos Gilbert Langlois.

Vers 1854-1857, la maison Favier Frères de Lyon avait fabriqué une lunule d'argent doré pour l'ancien soleil en argent de l'ostensoir de 1681-1682. Ce soleil fut détruit à l'occasion de l'installation du soleil actuel pour les célébrations de 1909. Mais la lunule de Favier Frères fut conservée. Elle fut adaptée au troisième ostensoir des hopitalières, en laiton doré « MADE IN FRANCE », nouvellement acquis en 1925. Cet ostensoir a approximativement la même hauteur que l'ancien ostensoir de 1681-1682. À cette époque, la maison Desmarais Robitaille de Montréal commercialisait ici ce type d'objets religieux fabriqués en France.

Favier Frères (actifs de 1824-1827 à 1976), Lyon, Lunule, vers 1854-1857, argent doré et verre, poinçon d'orfèvre FF, un soleil, Montréal, Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. Photo de la lunule Robert Derome. Photo des poinçons Gilbert Langlois.

 

Lunule de Gilles Beaugrand, milieu XXe siècle.

Les transformations à l'ostensoir de « Madame de la Basme » trouvent leur dernier chapitre au milieu du XXe siècle par l'ajout d'une lunule en argent fabriquée par le grand orfèvre montréalais Gilles Beaugrand. Celle-ci remplaçait la lunule qui accompagnait le soleil fabriqué pour les célébrations de 1909 et dont il ne reste qu'un morceau dans la boîte de fragments.

Gilles Beaugrand (1906-), Lunule, milieu XXe siècle, argent, Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. Photo Gilbert Langlois.

 

Les vestiges-reliques de l'ostensoir de Pierre Loir donné en 1681-1682 par Madame de la Basme à Judith Moreau de Brésoles pour les hospitalières de Saint-Joseph de Montréal.

Hypothèse de reconstitution archéologique des stratifications des multiples phases de sauvetages, transformations et réintégrations, à partir des fragments épars conservés.

web Robert DEROME