web Robert DEROME
Les sources iconographiques
des portraits fictifs du père jésuite Jacques Marquette


1934 Charles Turzak

Charles Turzak, Marquette and Joliet, from History of Illinois in woodcuts, 1934, portfolio of 10 woodcuts, 16 1/8 x 11 in. Photo : source.

Ce bois gravé de Charles Turzak (1899-1986) est tout à fait remarquable par sa facture. Il fait partie de son exceptionnel portfolio de 10 gravures illustrant l'histoire de l'Illinois. Il synthétise à merveille les archétypes de la représentation de Marquette. Ne s'emcombrant pas d'illustrer un visage qui n'existe pas, il va à l'essentiel. Trois éléments suffisent à identifier le personnage de dos : chapeau, soutane et croix. Le pied gauche écarté, la croix portée loin et haut, confèrent une ampleur rhétorique au personnage. Le preacher, sur le sommet d'une colline, envoûte une foule d'Amérindiens dociles présentant leurs symboles de paix, les calumets, et vénérant leur prédicateur. Il est accompagné, bien sûr, par son fidèle compagnon armé à ses côtés : Jolliet. Au loin, le Mississippi zigzague au sein des collines, tel le cours d'eau énigmatique et symbolique de la Joconde ; évoqué, une fois de plus, par la navigation des canots dans le bas à droite. Afin d'ajouter de la grandeur, du mysticisme et de l'animisme, Turzak met en scène de façon remarquable le Piasa bird d'Alton, dans l'Illinois. La nature est évoquée par les conifères, près des canots, et les feuillus au-dessus de la falaise du Piasa. Ce bois gravé se joue admirablement bien des contrastes noir et blanc, à la manière de l'expressionnisme si présent dans le cinéma allemand du début du siècle. La lumière s'y compare à celle éclairant les vedettes lors des grands spectacles, projetant l'ombre des jambes de Marquette derrière lui et mettant en valeur le Piasa dans un spectacle son et lumière le dotant de pouvoirs surnaturels. La croix noire de Marquette est bien mise en évidence par le contraste sur la falaise blanche du Piasa, une façon de montrer la supériorité de la nouvelle foi sur les anciennes.

Marquette a décrit ce monstre qui n'existe plus sous cette forme puisque cet original a été détruit. Le dessin de Marquette a également été détruit dans le naufrage de ses archives, mais Franquelin en a proposé un dessin, en 1678, d'après les indications de Jolliet (Campeau 1992, pdf, p. 76).

Les deux monstres de la civilisation pré-colombienne de Cahokia.
Texte de Marquette et commentaires.

Collaboration de Christian Carette.

Comme nous Cottoions des roches affreux pour Leur haulteur et pour leur Longour ; Nous vismes sur un de ces roches deux monstres en peinture qui Nous firent peur d'abord et sur Lesquels les sauuages les plus hardys n'osent pas arrester Longtemps les yeux ; ils sont gros Comme vn veau ils ont des Cornes en teste Comme des cheureils ; un regard affreux, des yeux rouges, une barbe Comme d'un tygre, la face a quelque chose de l'homme, le corps Couuert d'écailles, et La queuë si Longue qu'elle fait tout le tour du Corps passant par dessus la teste et retournant entre les jambes elle se termine en queuë de Poisson. Le vert, Le rouge et Le noirastre sont les trois Couleurs qui Le Composent : au reste ces 2 monstres sont si bien peint que nous ne pouuons pas croire qu'aucun sauuage en soit L'autheur, puisque Les bons peintres en france auroient peine a si bien faire, veuque d'ailleurs ils sont si hauts sur le rocher qu'il est difficile d'y atteindre Commodément pour les peindre voicy a peu pres La figure de ces monstres Comme nous L'auons Contretirée.

« Le Cacique a des palais qui, quoique inachevés, sont aussi beaux que les plus beaux que nous ayons en Espagne : je dis bien des plus beaux, des plus ornementés et des mieux organisés ». Marquette retrouve ici les accents d'un Cortès découvrant Mexico et de fait il ne s'y est pas trompé, il contemple là les vestiges de la plus prestigieuse civilisation d’Amérique du Nord.

Le site de Cahokia Mounds, (tumulus des Moines) non loin de la ville de Saint-Louis toute proche, représente le plus grand foyer de peuplement précolombien au nord du Mexique. La cité comptait au XIIe siècle prés de 20 000 habitants, le chef-lieu de la civilisation mississippienne comprenant une centaine de tumuli (temples). Si les cités d’Amérique du Nord n'ont jamais atteint le niveau de développement des sociétés méso-americaines (par l'absence d’écriture ou de construction en pierres notamment) il s'agissait pourtant de sociétés bien différentes des tribus indiennes nomades. Très hiérarchisées constituées de paysans sédentaires cultivant le maïs, elles pratiquaient comme leurs cousines méridionales des meurtres rituels, l'élite se faisant inhumer dans les tumuli. Elles disparurent peu avant l'arrivée des Européens pour des raisons qui ne sont pas encore éclaircies.

Ces pétroglyphes ont probablement été peints là pour indiquer aux visiteurs qu'ils pénétraient dans les territoires de Cahokia. Les Illinois les désignaient du terme de Piasa, páyiihsa, des luttins attaquant les voyageurs, une interprétation à posteriori par les Amérindiens nomades qui n'ont culturellement aucun lien direct avec Cahokia.

Les figures remarquées par Marquette, signalées encore par les compagnons de La Salle disparurent peu de temps après son passage, détruites par les Amérindiens eux-mêmes qui n'en comprenant pas le sens, s'en servaient de cibles. Le texte précise qu'ils avaient été « contretirées » (copiées) malheureusement cette illustration graphique manque dans tous les manuscrits retrouvés. Fort opportunément ils sont depuis 1924 régulièrement reconstitués (à partir de la description du jésuite notamment) par des peintres modernes sur la falaise de la petite ville d'Alton dans l’Illinois où ils furent pour la première fois observés.

Louis Jolliet et Jean-Baptiste-Louis Franquelin, carte, 1678. Source.

N.B. sur le site web source, le seul à donner une si grande image, cette représentation a été inversée horizontalement par rapport aux cartes originales ci-dessous, probablement pour harmoniser la représentation avec l'iconographie du XIXe siècle (voir ci-dessous) où la tête du monstre est présentée du côté droit. Nous avons rétabli le sens original donné sur la carte de Jolliet - Franquelin ci-dessous.

HMC photo (Harvard Map Collection) de la carte de 1678 de Jolliet et Franquelin. Et détail ci-dessous... Source.

« 19. Carte generalle de la France septentrionalle contenant la découverte du pays des Ilinois faite par le sieur Jolliet... / Joannes Ludovicus Franquelin pinxit. 1 carte : ms ; 76 x 100 cm. Dédiée et envoyée à Colbert par Duchesneau, intendant de Nouvelle-France. Signature de Franquelin dans le coin inférieur droit. Datée de 1678 par J. Delanglez, Mid-America, vol. 25, 1943, p. 57. Dédicace de Duchesneau, intendant de Nouvelle-France, à Colbert. Cartouches ornementés. Abondante iconographie insérée au tracé géographique : ours, hérons, castors, belette, cerfs, renards, chameaux. » Source.

« Franquelin, Jean Baptiste Louis (b. 1650) [Jackson 14] [Delanglez 3] [Campeau 6] [1678]: Carte Gnlle de la France Septentrionnallee, Contennant la découverte du pays des Ilinois Faite par le Sieur Jolliet. [In lower right corner, small print:] Joannes Ludovicus Franquelin pinxit. [LC fine copy (inexact), called "The Mississippi" in catalog. Contains drawing of Piasa. [LC map is a copy (with altered legends and cartouches) of the original at SHD-M.] [Reproduced in Campeau 1992 (pdf), p. 76.] [HMC Karpinski series F 26-2-1.] [Service historique de la défense, département Marine, Cartes et plans, recueil 66, no. 19.] [Formerly in Bibliothèque de la Service hydrographique, 4040B-11.] [Library of Congress (fine copy), G4042.M5 1682 .F7 Vault : Kohl 229] [NL catalog] [LC fine copy] [HMC photo] [HMC photo] [HMC photo] [HMC photo] North America detail [HMC photo] North America detail [HMC photo] » Source.

Cette carte est conservée à la Bibliothèque historique centrale de la Marine, Château de Vincennes, Pavillon de la Reine (accès aux collections de la bibliothèque). « Le Service historique de la Marine, créé après la Première Guerre mondiale, est installé depuis 1974 dans l'enceinte du Château de Vincennes. Il contient à la fois les Archives centrales de la Marine, postérieures à 1870, et la Bibliothèque historique centrale de la Marine. Cette dernière, principalement issue de la fusion de trois bibliothèques relevant de la Marine, la bibliothèque administrative (rue Royale), la bibliothèque historique (au sein du Service historique depuis 1919, rue Octave-Gréard) et la bibliothèque scientifique (au sein du Service hydrographique, rue de l'Université) possède aujourd'hui environ 170 000 volumes dont 1000 manuscrits. Elle conserve également les 71 recueils de cartes provenant de la Collection du Service hydrographique de la Marine, l'ancien Dépôt des cartes et plans créé en 1720. Dans ces albums ont été collées vers 1864 plus de 6000 cartes manuscrites ou imprimées réalisées entre 1550 et 1850. Les recueils 65 à 69 concernent l'Amérique du Nord. Les cartes des recueils 66 à 69 ont été décollées, mises à plat, restaurées, encapsulées dans des pochettes de mylar et placées dans des meubles à plan. Le Recueil 66 (ancien 4040 B ancien S.H. 205) contient les cartes générales d'Amérique du Nord. Elles sont toutes manuscrites, en grande partie issues de la main de Jean-Baptiste Louis Franquelin (1650-après 1712). Nommé hydrographe du roi en 1687, Franquelin a vécu à Québec entre 1672 et 1692 et a tracé plusieurs très belles cartes de l'Empire français en Amérique du Nord. Les autorités coloniales firent tout d'abord appel à lui pour représenter la découverte du Mississippi par Marquette et Jolliet (pièce 19, ainsi que la pièce 39 du recueil 67). Franquelin a été le premier à intégrer sur ses cartes les découvertes de La Salle (voir par exemple les pièces 6 et 6 bis). Il est également le premier à représenter de profil la ville de Québec, type de représentation qui sera largement repris par la suite (voir les pièces 6 bis, 12-15, 16-18 et 20-23). » Source.

La Carte du Mississipi 1678

Extraits de Campeau 1992, pdf, p. 76-80, d'où est tirée l'image reproduite ci-dessus.

Cette carte tirera son nom du fleuve auquel elle restitue son appellation originelle. Elle avoue être « Faite par le Sieur Jolliet » et elle est adressée par l'intendant Duchesneau au ministre Colbert. Elle a pour titre : « Carte généralle de la France Septentrionalle contenant la découverte du pays des Ilinois ». L'original est conservé à Paris, au Service de l'Hydrographie et de la Marine, cote 4040 B 11, n° 396. Elle mesure 1 x 0,78 m. Franquelin en est le dessinateur déclaré. Elle n'est pas datée, mais dans la concession de l'île d'Anticosti à Jolliet, en 1680, Duchesneau affirme avoir envoyé à la Cour, deux ans plus tôt, une carte dressée par le concessionnaire (Acte de concession cité par Ernest GAGNON, Louis Jolliet, découvreur du Mississipi et du pays des Illinois, premier seigneur de T île d Anticosti, Montréal, Beauchemin, 1946, p. 200.). Elle aurait donc été envoyée en 1678. Elle pourrait même avoir été commencée auparavant, dès 1676, au temps où Jolliet et Jacques Leber demandaient une concession sur les grands lacs, concession refusée. La carte dut en effet, comme les cartes précédentes, être faite en vue d'une gratification. L'occasion était plus favorable après 1675, Duchesneau ayant pris Franquelin à son service et n'étant pas trop sympathique aux projets du gouverneur. [...]

Comme l'annonce le titre, c'est une carte générale de la Nouvelle-France septentrionale, c'est-à-dire de l'Amérique du Nord, puisqu'elle indique Baston, Manate, la Nouvelle-Suède, la Virginie, la Floride, une grande partie du Mexique avec Cuba, la mer Vermeille et la Californie. [...]

Mais dans sa partie explorée, il a divers détours qu'on ne trouvait pas sur les autres cartes de Jolliet. Il est évident, cette fois, que ce dernier a vu la carte de Marquette et qu'il s'en est inspiré, pour le tracé même du Mississipi. Les angles que fait le fleuve de Marquette sont adoucis par Jolliet, mais ils sont là. À l'embouchure de la rivière des Moines, Marquette avait placé le village de Peouarea entre deux cours d'eau, ou sur une île: ce n'est pas clair. Mais Jolliet fait dessiner nettement une division de la rivière des Moines avant l'embouchure, pour former l'île où il place le village; il n'avait rien indiqué de cela sur ses autres cartes. Les noms des nations sont aussi empruntés à Marquette, mais diminués en nombre; on sait qu'ils étaient plus nombreux sur la Frontenacie. Jolliet a vu non seulement la carte, mais aussi la Narration de Marquette. La lecture lui a en effet rappelé les monstres de la rive gauche du fleuve, avant le Missouri. Le jésuite les avait décrits avec insistance. Jolliet en fait donner une représentation, la seule qu'on possède, puisque celle de Marquette est perdue. C'est un animal aux pattes courtes, au corps allongé, à la tête presque humaine, aux oreilles de chien et aux cornes de vache. Sa longue queue entoure presque entièrement son image. Il est donc certain que Jolliet a utilisé les papiers de Marquette pour la confection de cette carte du Mississipi.

Une copie de cette carte (non illustrée ici) est conservée à Bibliothèque et Archives Canada : elle a été faite au XIXe siècle par Pierre-Louis Morin dont nous avons mis en doute l'intégrité sur notre site web intitulé Pierre-Louis MORIN (1811-1886) créateur d'images archéologiques mythiques. L'image ci-dessous présente une autre copie conservée à la Library of Congress, datant probablement elle aussi du XIXe siècle.

Copie de la carte de 1678 de Jolliet et Franquelin. Et détail ci-dessous... Source.

« The Mississippi / by Franquelin. Franquelin, Jean Baptiste Louis. CREATED/PUBLISHED [ca. 1682] NOTES Relief shown pictorially. Shows trees, animals, and names of the Indian nations. Pen-and-ink and watercolor; detached from paper and mounted on cloth backing. "This is the copy of a sketch of the Mississippi River and country, contained in a manuscript map ... has the following title Carte génerale de la France septentrionale, contenant dans la d'ecouverte du pays des Ilinois ... made by the Sieur Jolliet ... our present map ... is one of the first French maps of the Mississippi River ever made, if not the very first one itself." Includes a discussion of the origin, significance, and contents of the map. In upper left corner: 229. Scale not given. RELATED TITLES [Kohl collection ; 229]  Carte génerale de la France septentrionale, contenant dans la d'ecouverte du pays des Ilinois.  MEDIUM 1 map : ms., col. ; 52 x 35 cm. CALL NUMBER G4042.M5 1682 .F7 Vault : Kohl 229 REPOSITORY Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C. 20540-4650 USA DIGITAL ID g4042m ct000784 http://hdl.loc.gov/loc.gmd/g4042m.ct000784. » Source.

 

On consultera également avec intérêt les cartes de la Manitoumie illustrées sur la notice 1678 Jésuites.

2012 Nelson (p. 130-135) rapporte que d'autres voyageurs ont vu ou décrit ces pétroglyphes : René-Robert René-Robert de La Salle et Louis Hennepin en 1680, Henri Joutel en septembre 1687 et Jean-François Buisson dit Saint-Cosme qui, en décembre 1698, note qu'ils sont pratiquement effacés. Les XIXe et XXe siècles en ont fourni d'autres images au fil des reconstitutions successives.

 

J.C. Wild, lithographie, 1841. Source.

 

Henry Lewis, 1846. Source.

 

William McAdams, 1882. Source.

 

Armstrong 1887 - pdf (collaboration de Christian Carette).
Signé à gauche « Chs Photo Eng Co » et à droite « P. Audibert ».

 

Voir 1903 Benoît.

 

« This is one of the earlier paintings of the Piasa. The picture was taken by Bill Fecht sometime in the 1950's or 1960's. » Photo : source.

 

Peint par Dave Stevens en 1998. Source.

 

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