Portrait de Paul Chomedey de MAISONNEUVE

Attribué à Pierre-Louis Morin (1811-1886), gravé chez Photo Electrotype Engraving Company New-York, Portrait de Paul Chomedey de Maisonneuve, vers 1882, gravure, Sulte 1882-1884, pour la référence voir la table de concordance.

Le prototype le plus répandu du portrait de Maisonneuve a été publié par Benjamin Sulte en 1882-1884. Plusieurs artistes ont copié ce portrait qui n'est pas signé, mais qui s'est imposé comme l'une des iconographies de ce personnage.

Une recherche historique et iconographique inédite permet de proposer que cette œuvre soit attribuée à l'artiste québécois méconnu Pierre-Louis Morin (1811-1886). D'autres recherches inédites permettent d'identifer l'éditeur de Sulte, Thomas L. Wilson, qui a fait imprimer ce galvanotype à New-York chez Photo Electrotype Engraving Company.

 

Une version antérieure en avait cependant été publiée dès 1874 sur un grand tableau illustrant les personnages de l'histoire du Canada (collaboration de Patrice Groulx le 20 août 2001, référence à Martin 1988, p. 15).

Joseph L'Hérault, publié par J.C. Marquis prêtre chez Roberts & Cie lithographes, rue Saint-Jacques, Montréal, Détail du portrait de Paul Chomedey de Maisonneuve, en bas à droite sur Épiscopat de la Province Ecclésiastique de Québec, Souvenir du premier octobre 1874, 1874, lithographie, 99 x 82,5 cm.

portraits par Albert Ferland, Anonyme, Ozias Leduc, Albert Decaris

L'iconographie du portrait de Paul Chomedey de Maisonneuve imposée par Wilson-Sulte en 1882, telle que créée par leurs dessinateurs et graveurs, a servi de modèle aux multiples versions connues (Martin 1988, p. 105-109), hormis une sérigraphie française récente par Albert Decaris (1901-1988) qui est de plus en plus utilisée dans la publicité touristique sans être identifiée. Cette version plus romantique s'apparente à celle de Louis-Philippe Hébert, mais reprend les traits et attitudes de Jean Marais dans l'un de ses films de cap et d'épée...

 
Albert Ferland (1872-1942), Portrait de Paul Chomedey de Maisonneuve, [1899], reproduit dans Lejeune 1931, face à la p. 218.
Ozias Leduc (1864-1955), Portrait de Paul Chomedey de Maisonneuve, XXe siècle, huile, Montréal, Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours.
Anonyme, Portrait de Paul Chomedey de Maisonneuve, XIXe ou XXe siècle, photographie rehaussée de fusain et de gouache, 97 x 84,2 cm, Montréal, Musée des Hospitalières de Saint-Joseph 1988.X.962.
Albert Decaris (1901-1988, Vernouillet, Yvelines, France), Portrait de Paul Chomedey de Maisonneuve, XXe siècle, gravure, Montréal, Collection Maurice da Silva (photo Archives nationales du Québec, Collection initiale, P600,S5,PGN62,03-Q).

Robert Le Blant en 1959 a porté un jugement sévère sur le portrait de Maisonneuve par Albert Ferland publié dans Lejeune 1931 :

« Quelques autres obscurités des procès-verbaux [dressés après le décès de Maisonneuve] sont plus ennuyeuses pour qui serait désireux d'entreprendre la critique d'un portrait reproduit par un de nos plus éminents prédécesseurs [Lejeune 1931], donnant au gouverneur quelque peu l'apparence d'un chevalier du Moyen âge (Le Blant 1959.09, p. 269). »

Le Blant porposera un autre portrait littéraire de Maisonneuve beaucoup plus convaincant tiré des informations consignées à son inventaire après décès qui fournit des informations de première main sur la place du luth dans la vie du premier gouverneur de Montréal.

Le Monument Maisonneuve à la Place d'Armes
par Louis-Philippe Hébert

Au sujet du portrait de Maisonneuve sculpté par Louis-Philippe Hébert pour son magnifique monument dressé face à l'église Notre-Dame de Montréal, on « rapporte que l'historien Benjamin Sulte, ami du sculpteur, servit de modèle pour cette figure énergique, dont Hébert accentua l'idéalisation (Martin 1988, p. 109). » Sulte est donc à l'origine de la double iconographie de Maisonneuve créée à la fin du XIXe siècle : la gravure romantico-médiévale parue dans son Histoire des Canadiens-Français (Sulte 1882-1884) et ses traits idéalisés pour la sculpture épique par Louis-Philippe Hébert !

Benjamin Sulte (1841-1923)

Louis-Philippe Hébert (1850-1917), détails du Monument Maisonneuve incluant le bas-relief La Première Messe à Ville-Marie, 1895, bronze et pierre, H. 9,15 m, Montréal, Place d'Armes face à l'église Notre-Dame. (Photo de gauche : Robert Derome. Photo de droite : Bibliothèque nationale du Québec, Fonds Édouard-Zotique Massicotte 4-165-d.)
      

Léo-Paul Desrosiers : journaliste, romancier, historien

 
« D'après sa sœur aînée, Louise, et Dollier de Casson qui recueillait les récits de Jeanne Mance, le jeune Paul de Chomedey aurait commencé une carrière militaire à l'âge de treize ans. Il aurait servi dans les armées du nord, en Hollande, pendant la Guerre de Trente ans, contre la maison d'Autriche6. Richelieu avait momentanément contracté alliance avec les Luthériens, leur fournissant vivres, subsides, quelques milliers de volontaires, c'est-à-dire de mercenaires avides de pillage, de carnage et de beuveries. Sa sœur Louise rend un témoignage direct : "La frange de ses cheveux, coupés à la façon des ecclésiastiques, lui donne l'air d'un croisé, et, sous sa tente, il aime à jouer du luth, pour tromper la monotonie des soirs brumeux". »

« 6 D'après un livre intitulé : Conduite de la Providence dans l'établissement de la Congrégation de Notre-Dame, par Louis Gaspard-Bernard [sic], Pont-à-Mousson (Desrosiers 1967, p. 36-37, qui réfère à Bernard 1732). »

On peut se demander si Desrosiers ne se serait pas laissé emporter par la plume et la rhétorique ? Au lieu de référer à une véritable source d'époque, peut-être une hypothétique lettre signée par Louise de Chomedey, aurait-il succombé à la tentation toute littéraire et romanesque de simplement décrire le portrait publié de Maisonneuve depuis 1882, sans en faire la critique et sans se rendre compte qu'il ne s'agissait pas d'un portrait authentique du XVIIe siècle mais d'une fabrication de la fin du XIXe siècle ! Littérairement, cette description aurait été d'autant plus intéressante mise dans la bouche de Louise de Chomedey ! On doit d'ailleurs noter que le texte de cette citation ne ressemble ni au vocabulaire ni au style épistolaire du XVIIe siècle. Prenons-en pour témoin le mot « brumeux » dont l'utilisation est attestée seulement depuis 1787 d'après Le Petit Robert (édition de 1996), soit un siècle et demi plus tard que le moment où Louise de Chomedey aurait pu écrire ce texte ! Ainsi donc s'envolerait la belle image littéraire médiévo-romantique de Maisonneuve qui, tel un « croisé », la «  frange de ses cheveux coupés à la façon des ecclésiastiques », jouait du luth sous la tente « pour tromper la monotonie des soirs brumeux »...!

Desrosiers n'aurait-il pas pu s'inspirer, en l'élaguant de plusieurs détails et mises en garde, de la description du portrait telle que donnée par Pierre Rousseau en 1886 dans sa biographie de Maisonneuve :

« Si le portrait qui nous a été conservé de lui est le véritable, sa taille s'élevait au-dessus de la moyenne, il portrait les cheveux taillés comme les ecclésiastiques, le front large, les sourcils légèrement arqués, l'oeil bien dessiné, le nez droit et fort accentué ; la lèvre supérieure est fine, le menton accuse de la fermeté, et l'ovale allongé de sa tête est fermement assis sur la colonne du cou. La figure respire l'intelligence, mais surtout la bonté et le calme d'une vertu que n'ont jamais troublée les passions. Il y a là un charme qui attire la confiance et le respect, c'est le reflet d'une âme pure, modeste, timide peut-être dans les rapports de société qu'elle redoute (Pierre Rousseau, 1886, cité par Martin 1988, p. 106-107). »

Un sobre portrait littéraire par l'historien Gustave Lanctôt

Au récit romanesque de Desrosiers on peut opposer la rigueur et la sobriété historique dûment documentée de Gustave Lanctot dans ce portrait uniquement littéraire de Maisonneuve, plublié un an plus tôt, sans aucune référence aux fictifs portraits picturaux ou sculpturaux alors connus de tous (Lanctot 1966, p. 33-34 et 38) :

« Fils d'une famille de noblesse ancienne, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve était né à Neuville-sur-Vanne en février 1612. De ses antécédents on sait fort peu de faits authentiques. Très jeune, selon l'usage du temps, à treize ans, il aurait joint les rangs de l'armée et servi dans plusieurs campagnes notamment celle de Hollande. C'est ainsi qu'il acquit la pratique de la discipline et l'expérience du commandement. Ayant quitté le régiment à l'âge de vingt-neuf ans il se trouvait libre de toute attache. [...] "Homme de grande oraison" il possédait un fonds de sympathie humaine, un esprit de profonde justice et un jugement solide. De plus il ne désirait pas les honneurs et ne recherchait ni les avantages ni la richesse. Au contraire il donnait généreusement du revenu de ses biens personnels. D'une bravoure froide et d'une fermeté inébranlable il se révélera le chef qui refuse de céder devant les Iroquois, les gouverneurs malveillants et les autorités théocratiques. Ces qualités de l'homme d'action s'accompagnaient dans la vie quotidienne d'une humeur aimable, animant la conversation de réflexions piquantes. Il professait un goût marqué pour la musique et se plaisait, aux heures de loisir, à jouer du luth, la guitare du temps11. »

« 11 Casson, p. 16-19 [Dollier de Casson 1992]. Sœur Morin, Annales de l'Hôtel-Dieu, Montréal 1921, p. 81 et 84 [Morin 1921 et Morin 1979]. Daveluy, Marie-Claire. La Société de Notre-Dame de Montréal, p. v21 [sic, voir Daveluy 1965, p. 121]. »

Un portrait hagiographique
par Charles de Glandelet en 1700-1715

Terminons avec un des plus anciens portraits littéraires de Maisonneuve. Il a été dressé par l'abbé Charles de Glandelet très peu de temps après le décès de Marguerite Bourgeoys dont il écrit la biographie en 1700-1715 :

« Ce fut dans ce temps-là [vers 1652, à Troyes, avant sa venue à Ville-Marie] qu'elle [Marguerite Bourgeoys] eut le songe suivant : "Il lui sembla voir saint François avec un jeune homme beau comme un ange, et un autre homme chauve, habillé simplenent comme quelque prêtre qui va en campagne, et qui n'était guère savant."

Le lendemain, elle raconte son songe, et quelques jours après, on lui mande de venir au parloir où était Monsieur de Maisonneuve, de l'arrivée duquel elle n'avait point eu connaissance. En entrant : "Voilà, dit-elle, mon Prêtre que j'ai vu en songe." (Simpson 1999, p. 60, référence à Glandelet 1993, p. 46) »

 

Momument Paul Chomedey de Maisonneuve
Neuville-sur-Vanne

Photos de Michel Cardin, le 12 juillet 2001.

web Robert DEROME